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Arts modernes et contemporains : quelle libération ?

Du 19è au 21è siècle, un véritable cataclysme a ébranlé les codes traditionnels des arts plastiques. Plusieurs éléments interviendront dans ce grand mouvement libérateur : du Romantisme au Surréalisme, c’est l’imagination qu’on cherche à libérer, en s’appuyant en particulier sur le rêve ou le discours de la folie ; puis, de l’impressionnisme à l’abstraction, ce sont les formes plastiques elles-mêmes qui seront revisitées ; enfin, du dadaïsme aux multiples pratiques contemporaines, on retrouve encore avec plus de force cette volonté persistante du monde de l’art à sortir de ses cadres : c’est le règne de l’art hors du jugement esthétique et hors les murs.

L’IMAGINATION

Contre l’idéal classique, qui consiste à « copier le réel » et parfois l’organiser (statuaire grecque, peinture Renaissance, arts classiques français du 17e s. ou réalisme du 19e), l’imagination provoque des « failles » dans la vision rationaliste du monde : vision de l’Enfer au moyen-âge (de l’art roman à Jérôme Bosch) ou pure fantaisie (de Brueghel à Archimboldo), théâtre élisabethain qui n’hésite pas à passer constamment les frontières de l’irrationnel. Dès la fin du 18e s., le romantisme (allemand et britannique, puis français) reprend le flambeau de l’imagination contre la raison ; un siècle plus tard, c’est autour du symbolisme et du pré-raphaélisme que les peintres français ou anglais prennent leurs distances avec le réalisme ; mais c’est avec le surréalisme au 20e s. (véritable mouvement artistique, philosophique et politique) que la rupture avec le réalisme et le rationalisme est clairement revendiquée ; face à la civilisation européenne qui a sombré dans la Première Guerre Mondiale, seule « l’imagination au pouvoir »semble encore pouvoir offrir un espoir, imagination sans limites de style et de contenu, en nous appuyant sur les « arts premiers » des colonies, l’art des « fous » et autres « naïfs », celui des enfants et, dès le début du siècle, la psychanalyse freudienne.

Johan H. Füssli, Le cauchemar, 1781
Francisco de Goya, Saturne, 1823
Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818 (romantisme) : « l’artiste doit peindre ce qu’il voit en lui ».
Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830 : « le romantisme est la libre manifestation de ses sentiments ».

John Everett Millais, Ophélie, 1852 (préraphaélisme) ; l’art doit s’adresser à toutes les facultés de l’homme.
Gustave Moreau, Oedipe et le sphinx, 1864 (symbolisme) ; le symbolisme est la recherche de l’idéal (contre positivisme et naturalisme).

Giorgio de Chirico, Piazza d’Italia, 1913 (peinture métaphysique) :
capacité du rêve à générer des mondes à partir d’éléments connus (objets ou personnages insolites dans des décors aux perspectives aberrantes). 

Salvador Dali, La Tentation de saint Antoine, 1946 (surréalisme) ;
« Déclaration d’indépendance de l’imagination » (méthode paranoïaque-critique : projection d’images obsessionnelles et délire interprétatif de l’artiste). André Breton : « Sur la foi des découvertes de Freud, un courant d’opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qu’il sera de ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires ; l’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits », (1924).

+ David Lynch, Tim Burton...

LES FORMES

Mais dans le rêve par exemple, il y encore du « figuratif » ; parallèlement à la libération des contenus, on va assister à une libération des formes ; de façon presque anodine (même si la présentation des œuvres impressionnistes crée le scandale dans le petit monde de l’art), c’est le travail sur la lumière (Turner, Monet), puis très vite sur la couleur (Gauguin) qui va permettre au peintre de sortir d’un réalisme jugé trop simpliste. Et c’est très méthodiquement qu’on repense alors la perception des choses (impressionnisme pictural, musical ou narratif), voire par l’expression brute des émotions (Van Gogh, expressionnisme « allemand », Artaud, Céline). Pour les peintres, le passage à la « révolution abstraite » se fait alors très vite ; libérée cette fois du contenu, l’abstraction se fait lyrique (Kandinsky), géométrique (Mondrian) ou minimaliste (Malévitch). Un siècle après sa naissance, l’art abstrait suscite souvent encore l’incompréhension : au 21e s., une partie du grand public semble toujours à la recherche d’un contenu clairement identifiable, ce qu’il trouve en littérature ou au cinéma, mais ne demande pas nécessairement à la musique.

William Turner, La musique à Petworth, 1835 ; reconnu comme « peintre de la lumière ».
Claude Monet, Impression soleil levant, 1873 (impressionnisme) ; parallèlement à l’nvention de la photo et aux travaux scientifiques sur la lumière, les séries : même motif à différentes heures du jour : meules, gare saint Lazare, peupliers, cathédrale de Rouen, parlement de Londres, nymphéas.
En 1894, Caillebotte lègue 70 œuvres impressionnistes à l’Etat (certaines d’entre elles seront refusées jusqu’en 1908).

Pierre Bonnard, La Fenêtre ouverte, 1919 (fauvisme) ; « La couleur, qui est vibration de même que la musique, est à même d’atteindre ce qu’il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure », (Gauguin, 1899).

Vincent Van Gogh, Champ de blé avec les corbeaux, 1890 (expressionnisme).
Edvard Munch, Le cri, 1893 ; « J’ai entendu un cri infini déchirer la nature ».
Cobra (1948-51) : Asger Jorn, Karel Appel, Alechinsky, Jan Nieuwenhuijs...) ; influencés par le surréalisme, l’expressionnisme et Jung.

Pablo Picasso, La femme qui pleure (1937), Portrait de Dora Maar (1937), Minotauromachie (1935) ; 50 000 œuvres."Il n’y a pas d’art abstrait ; il faut toujours commencer par quelque chose ; on peut ensuite enlever toute apparence de réalité ; il n’y a plus de danger, car l’idée de l’objet a laissé une emprunte ineffaçable ", (Zervos, 1935).

Francis Bacon, d’après Velasquez, 1953 ; « L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux » (1945). Séries : sur Van Gogh, corrida, boxe ; « L’image viendra droit de l’abstraction, mais elle n’aura rien à voir avec elle ; il s’agit d’une tentative pour que la figuration atteigne le système nerveux de manière plus violente et plus poignante », (1962).

Jackson Pollock, Action painting, 1948 (expressionnisme abstrait)
« L’artiste moderne travaille et exprime un monde intérieur ; il exprime l’énergie, le mouvement et d’autres forces intérieures », (1950).

Paul Cézanne, Montagne sainte-Victoire, 1887 et 1906 (cubisme)
« Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central », (1904).
Sur le cubisme : « Ce que la rencontre entre Picasso et Braque fait surgir, c’est que le motif n’est plus la peinture ; c’est la composition », (Pierre Daix).

Robert Delaunay, Disque simultané, 1912 (abstraction géométrique) ;
harmonie picturale par l’agencement des couleurs ; modernité (cf. futurisme) : architecture, vitesse, électricité...
Piet Mondrian, Broadway, boogie woogie, 1942 ; « Je crois qu’il est possible, grâce à des lignes horizontales et verticales, (…) que ces formes fondamentales de la beauté puissent produire une œuvre d’art aussi puissante que vraie », (1914). Dans le but de chercher « l’essence de la réalité », supprime la courbe et le vert.

Wassily Kandinsky, Yellow, red, blue, 1925 (abstraction lyrique) ; découverte de l’électron : aller vers « une création pure de nature spirituelle ». Importance de la musique, abstraite par nature (cf. Schoenberg, musique atonale).
Joan Miro ; en 1926, avec Ernst pour les Ballets Russes.

Paul Klee (professeur au Bauhaus, avec Kandinsky) ; violoniste ; à Dresde en 1933, exposition d’ « art dégénéré » organisée par les nazis : 207 œuvres, dont 17 de Klee, qui serait « schizophréne » ; « Nous construisons et construisons sans cesse, mais l’intuition continue d’être une bonne chose » : théorie et spontanéité. 10 000 peintures, 5000 dessins, objets. « Le Bauhaus aspire à ce que la création artistique dans son ensemble constitue une unité, à ce que la fusion de toutes les disciplines artisanales aboutisse à un nouvel art architectural... », (Walter Gropius, 1923).

Kasimir Malévitch, Carré blanc sur fond blanc, 1918 (art minimal) ; le Bauhaus publie le « Suprématisme ou le monde sans objet » (1927) ; le pouvoir soviétique le qualifie de « rêveur philosophique » ; « Tout a disparu, est restée la masse du matériau à partir de laquelle va se construire la nouvelle forme », (1915).
Joseph Kosuth, Chaise ; art conceptuel ; « Matérialisée ou pas, l’idée elle-même vaut autant comme œuvre d’art que le produit fini », (So Le Witt, 1967).

LES CADRES

L’art éternel et sublimé, l’art européen, au début du 20e s. il s’agissait bien de cela : enfermé dans les musées, réservé aux amateurs éclairés et aux riches collectionneurs, au-delà des multiples recherches purement esthétiques (fauvisme, expressionnisme, cubisme ou futurisme), il sera contesté par les dadaïstes comme art, purement et simplement : en effet, qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? est-ce que l’art peut encore donner un sens à la civilisation européenne, qui l’a institutionnalisé et valorisé ? En tant qu’objets d’art, Duchamp trouve par exemple que les ready made (simples objets manufacturés) feront l’affaire et Tzara crée des poèmes à partir de découpes de journaux et de collages aléatoires. Gestes tout à fait marginaux au départ, ces pratiques vont se perpétuer par vagues tout au long du siècle, notamment après la Seconde Guerre Mondiale qui ravive le désarroi des créatifs : néo-dada, pop et néo-pop, installations et performances, toute tendance qui se présente initialement comme de l’anti-art a bientôt droit à l’appellation enviée d’avant-garde. Parallèlement, certains cherchent à pratiquer et innover hors des cadres des arts traditionnels (street art, land art, body art, art vidéo). Le paradoxe de ce foisonnement qui ne cesse de se présenter comme autodestructeur, c’est qu’en se perpétuant il finit par apparaître comme de l’art à part entière ; l’institution (le marché, la critique, le musée) en suit le moindre frémissement, jusqu’à en faire un nouvel académisme. La réalité c’est que l’anti-art et toutes les nouvelles avant-gardes les plus déroutantes, les plus farfelues ou les plus « scandaleuses » occupent aujourd’hui la presque totalité de la création dans le domaine des arts plastiques. Alors qu’en littérature, en musique, au théâtre ou au cinéma les expérimentations et déstructurations sont finalement restées dans les marges, la libération de la peinture ou de la sculpture a ici accouché d’un nouveau modèle.

Marcel Duchamp, Fontaine, 1917 (dadaïsme) ; invente le concept de « ready made » : l’art est une attitude, une démarche ; 1953 ; au Collège de Pataphysique (avec Vian, Prévert, Queneau...) ; « Cette maladie contagieuse qu’est la morale est arrivée à contaminer tous les milieux dits artistiques ; littérateurs et peintres deviennent des gens sérieux et bientôt nous aurons un ministre de la littérature et de la peinture ; je ne doute pas des plus effroyables conneries ! », (Francis Picabia, 1923).
« L’art brut, nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que les auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode », (Jean Dubuffet, 1948), (art brut).

Andy Warhol, Marylin, 1967 (pop art) ; dessinateur de pub, designer de vêtements et chaussures ; « Gagner de l’argent est un art » ; exposition commune Pop Art et Nouveau Réalisme (New York, 1962). En 1964, s’installe à la Factory (avec Velvet Underground ) ; « L’art pop, une fécondation croisée du futurisme et de dada, qui défend la culture des masses, ainsi que l’idée selon laquelle l’artiste, dans la vie urbaine du 20e s., est inévitablement un consommateur de culture de masse, à laquelle il peut également apporter sa contribution », (Richard Hamilton).
+ Arman, César (nouveau réalisme).

Gutaï, 1956 (performances).
Joseph Beuys, La fin du 20e s., 1983 (installations) ; « L’art plastique concret s’accomplit par des moyens organiques élémentaires, comme des animaux en évolution, comme le sang coulant dans les veines ou le mouvement de l’eau dans la rivière... »,(1972).
+ street art, land art, body art...


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