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Surréalisme présent !

SURREALISME PRESENT !

Il y a à peu près un siècle naissait le mouvement surréaliste, le plus grand mouvement de rénovation artistique depuis la Renaissance. Ce mouvement, il convient de le concevoir sous sa forme la plus générale, et non dans les limites étriquées que lui a finalement conférées l’histoire de l’art.

Pour les seuls arts plastiques : Dali fut surréaliste par son imaginaire, son humour ou son ego mais aussi Duchamp pour sa provocation, Magritte et Michaux...

MANIFESTE

Quand nous insistons sur l’esprit surréaliste, nous insistons sur l’ouverture d’esprit et non sur l’insipide répétition d’un style " acquis " et négociable : qu’on songe au fait que le marché et la critique sont parvenus à statufier les infortunés Duchamp, Bacon et quelques autres.
L’heure académique est donc à la " subversion répétée ", jusqu’à plus soif : néo-provoc ou néo-figuratif, ou néo-abstrait pour faire plaisir au " public averti ", etc...

Alors oui, quant à nous, nous préférons choisir le surréalisme dans sa forme primitive, comme ouverture s’entend : rappelons-nous que Max Ernst ne fut jamais enfermé dans une "catégorie", pouvant simultanément produire du " nègre ", de l’ " onirique " ou du " collage hasardeux ", pratiquer avec du matériau noble ou du papier découpé, de l’huile sur toile ou du crayon de couleur. Que Paul Klee, menant outre-Rhin les mêmes batailles sous d’autres désignations, n’était pas un obsessionnel d’un " style Paul Klee " (facilement identifiable par le collectionneur ou l’historien d’art), savourant la nouvelle " pulsion construite " du jour : figurative ou abstraite, soignée, purement technique ou à peine esquissée.

Certains artistes et poètes revendiquent encore et toujours cette posture libératrice : toutes les sources d’inspiration, toutes les techniques possibles, les expressions de l’inquiétude ou du contrôle, du primitif, du moderne ou du " post-moderne ", et tout ce que l’on voudra ; pourvu que ce soit avec la conviction intime de l’artiste, qui ne cherche pas par avance à répondre à une demande… : fervente perpétuation des années héroïques du début du XXè siècle qui, aujourd’hui comme hier, se présente comme une forme d’insurrection générale contre les misérables " académismes pompiers ou avant-gardistes ".

Après quoi, il s’agira surtout d’un retour au travail subjectif, offert au goût de subjectivités multiples : on aimera ou on n’aimera pas, liberté de l’amateur d’art à son tour ; mais on reconnaitra tout du moins une grande ténacité dans la diversité des formes et sources d’inspiration : en refusant coûte que coûte, dans les œuvres comme dans l’esprit, de répéter une trouvaille stylistique, une idée, un thème, un concept jusqu’à la caricature…

N’oublions pas que les règles de l’art n’appartiennent pas aux innombrables pontifes qui vivent du travail des artistes : si ces derniers décident d’imposer leur propre loi, ne doutons pas que les investisseurs privés, les décideurs institutionnels, les historiens, les critiques et autres parasites finiront bien par suivre le mouvement.

DEFINITION TRANSITOIRE POUR UN DICTIONNAIRE FUTUR

Le soupçon qui pèse sur l’idée que dans le domaine de l’art toute innovation, toute étrangeté, toute pseudo loufoquerie, même la plus terne serait en soi nécessaire et suffisante : cette tendance, que d’aucuns nomment “nouvelle académie” a dogmatisé autant qu’on pouvait l’y contraindre la fameuse petite phrase du grand docteur es critique d’art Charles Baudelaire, comme quoi
"Le beau est toujours bizarre",
balayant d’un revers d’esprit définitif la totalité de ses éphémères et souvent pertinentes réflexions
celle par exemple qui rappelle que l’art, “ c’est 1% d’inspiration, et 99% de sueur" ;
face à cette simili-modernité ou post-modernité, le surréalisme de notre temps n’hésitera pas, par conséquent, à puiser ses contenus et ses formes dans l’immense réservoir que constituent les quelque 40 000 ans d’histoire de l’art.

SURREALISME
Quel peut être l’intérêt, pour des artistes du XXIe siècle de faire référence à un mouvement semblant être sorti des écrans avec la mort d’André Breton ?
Toute définition devra prendre en compte le fait que ce “mouvement” fut justement multi-formules :
celle de l’univers onirique, que les découvertes freudiennes rendaient alors innovantes et qui apparaît aujourd’hui la plus désuète, hormis du côté des bidouilleurs d’images numériques, authentiques créatifs de pubs ou clips vidéo en tête ;
celle qui a brisé les tabous, tant du point de vue des formes esthétiques que des contenus, et cette posture-là ne saurait apparaître aujourd’hui "dépassée", particulièrement si l’on observe ce que sont les " nouveaux académiciens " ;
celle enfin, plus urgente que jamais, qui considère que l’art peut toujours contribuer à transformer le monde, ses structures sociales et ses mentalités, même si les combats à mener, les idéologies à affronter, ne sont plus précisément les mêmes qu’il y a un siècle.

CHÂTEAU

A l’époque même du mouvement surréaliste, André Breton s’était arrogé l’autorité de distribuer les tickets d’entrée d’un club fort privé, alors même qu’il était mieux inspiré d’ouvrir grand les fenêtres dans son Anthologie de l’Humour Noir.

Malgré le sectarisme, l’élitisme et autres puériles batailles, le siècle entier est venu puiser au château des ressources, autant au niveau de l’esprit que de la lettre : au cinéma, les Tex Avery, Fellini, Gillian, Burton, Lynch ou Tarantino ; et des inspirations diverses, celles des écrivains de la Beat Generation ou des musiciens psychédéliques.

Il y a ceux enfin, qui vivent aujourd’hui plus que jamais "en surréalistes" : des résistants écologistes aux derniers peuples indigènes, en passant par ceux que le destin a placé dans une situation insolite : astronautes de la station orbitale, géoclimaticiens en mission en Antarctique ou gardiens de centrales nucléaires … toutes professions très éloignées des anciennes observations sociales des pionniers surréalistes…

HIER / AUJOURD’HUI

L’AMOUR libre est sans doute plus "libre" qu’il y a un siècle, mais on est souvent passé du corps occulté au corps exhibé, et moins dans l’art finalement que dans la pub ; du coup, un paradoxe ? l’amour romantique résiste au temps, même s’il ne s"affirme plus dans l’exaltation lyrique (hormis dans la chanson populaire ou au cinéma), comme affrontement de la passion face aux codes sociaux.

L’amour homosexuel, du moins en Occident, se dit un peu plus, mais se devine plus qu’il ne se montre ; en cela, sa sortie de la clandestinité reste timide et fragile ; à l’instar de l’amour romantique, l’amour homosexuel se fait discret, pudique : il ne se présente pas aujourd’hui comme bousculant les normes morales de son temps ; la revendication au "mariage pour tous" est même l’expression d’un fort besoin de normativité. Qu’en auraient dit les surréalistes ? très difficile à imaginer, eux qui ne s’intéressait à Sade que parce qu’il brisait les codes de la morale religieuse et bourgeoise.

La femme muse, héritage romantique très présent chez Dali, Eluard ou Aragon, est à peu près totalement sorti des écrans aujourd’hui ; le développement du féminisme n’est pas pour rien dans cette évolution, même si pourtant la reconnaissance des femmes-artistes tarde à trouver sa place dans cette nouvelle configuration des rapports hommes/femmes ; signalons que la survalorisation du "top model" occupe une grande place dans la présentation de la mode vestimentaire, mais dans un créneau hyper codé, voire dérisoire, en général assez éloigné d’une réelle inspiration poétique.

LA POESIE : à voir le nombre de publications et d’évènements, on a le sentiment que la poésie comme forme littéraire est toujours vivante ; pourtant, il est loin le temps où les poètes de cour avaient des privilèges que n’avaient pas les plasticiens de la Renaissance, ou ceux de la période romantique qui se continue ici chez les surréalistes. En tant que phénomène d’édition, c’est le roman qui a pris toute la place, principalement sous la forme "naturaliste", celle-là même que méprisaient les surréalistes, parce qu’elle occultait le manque d’imagination sous des tonnes de documentation historique ou sociale ; aujourd’hui, force est bien de constater que ce sont Zola et les frères Goncourt qui ont emporté la bataille face à Baudelaire et Eluard. Mais, revanche posthume ? l’esprit poétique (métaphore et métonymie, rythme et harmonie, psychologie décalée...) s’est tout de même insinué dans le roman lui-même : chez Giono par exemple, ou Gracq, Le Clézio...

L’imaginaire poétique a trouvé également également à se réinventer dans des genres autrefois jugés marginaux : le conte fantastique, la science fiction ou la saga d’heroic fantasy, dont les adaptations graphiques et cinématographiques élargissent considérablement l’audience.

Fils spirituels des dadaïstes, les surréalistes n’hésitaient pas à revenir sur la nécessaire sortie du littéraire et des arts plastiques ; "vivre en poètes", tel pourrait être le mot d’ordre auquel souscrivaient déjà les Vian, Prévert, Queneau, Artaud, Michaux, enjambant allègrement les frontières des formes imposées, puis les Topor ou Desproges...

LA LIBERTE de l’artiste, du choix des formes et des contenus, à laquelle croyaient les surréalistes plus que tout, participait de la liberté générale, comme une évidence ; depuis, il y a bien eu chez nous un moment retenu sous la désignation de "Mai 68" ("l’imagination au pouvoir !"), mais aujourd’hui encore de nombreux artistes en lutte contre la tyrannie pourraient assez facilement reprendre à leur compte le fameux manifeste Breton/Trotzky ("Pour un art révolutionnaire indépendant", 1938).

Dans les années 30, on a vu comment le fascisme italien ou le stalinisme pouvaient récupérer et neutraliser des mouvements d’avant-garde en en faisant des outils de propagande ; certains artistes de cette époque soupçonnaient déjà la dérive, d’autres non ; depuis, la prudence est de mise.

Dans les régimes démocratiques, d’autres dangers ont pointé, que n’avaient pas prévus les surréalistes : la récupération commerciale des avant-gardes (dénoncée plus tard par les situationnistes). Dans ce contexte, le modèle marchand accélère un phénomène relativement nouveau : une production de plus en plus éphémère, donc souvent inaboutie, voire dérisoire, production qu’aimeraient pourtant pouvoir stabiliser les spéculateurs et les musées. Ici, avant même sa réalisation, le concept devrait pouvoir suffire ; la production artistique (nous parlons des arts plastiques) se contentera souvent de performances et autres installations "provocatrices" : le dadaïsme lui-même est finalement entré dans ce nouveau champ du conformisme.

LA POLITIQUE : si certains surréalistes se sont ralliés au modèle communiste, l’humeur collective était plutôt libertaire ; tous, aux côtés des intellectuels et autres ethnologues, ils dénonçaient avec virulence le colonialisme et le racisme qui l’accompagnait, ce qui n’était pas si commun pour l’époque. Aujourd’hui, la condescendance raciale existe toujours (vis à vis de l’Afrique Noire notamment), mais c’est surtout la xénophobie liée aux migrations multiformes qui attirerait sans doute l’attention du mouvement ; dans cette perspective, l’énergie du groupe irait à la défense du multiculturalisme et du métissage culturel ; au plan politique, irait-il jusqu’à l’ "altermondialiste" ? longues discussions en perspective.

Plus qu’antireligieux, les surréalistes étaient surtout anticléricaux ; aujourd’hui, leur combat serait sans doute le même, proche ainsi de certains journaux satiriques ; au delà des problèmes liés au fanatisme et au terrorisme, ils lutteraient vraisemblablement encore contre les bondieuseries superstitieuses (notamment celles des pentecôtistes et autres mouvements sectaires), ne cessant de s’étonner de cette perpétuelle renaissance ?

Ils lutteraient également contre la pénalisation à outrance et le système des prisons (surchargées et souvent déshumanisées), la psychiatrie qui reste médicalisée (malgré le mouvement antipsychiatrique des années 60), le néo-libéralisme tout puissant, la finance cynique et mondialisée ; parallèlement, ils dénonceraient le "productivisme rationalisé" et le fantasme de la "croissance" ; ceci bien-sûr n’est qu’une pure projection, à partir de ce que nous savons de leurs positions en matière d’économie.

QUEL RETOUR ? S’ils revenaient aujourd’hui, les surréalistes ne seraient sans doute pas étonnés de retrouver la guerre (ils ont connu les 2 guerres mondiales) ; mais la pollution les laisserait songeurs, de même que la surproduction alimentaire, les innombrables écrans et la numérisation générale.

Du point de vue des arts, ils ne pouvaient sans doute pas imaginer les immenses musées d’art contemporain (où ils ont une place de choix), la production de masse du cinéma (dont ils entrevoyaient les possibilités) et de la musique (qui les intéressait modérément).

Ils apprécieraient la reconnaissance des arts premiers (qu’ils ont cherché avec d’autres à valoriser), des arts insolites ("ceux des fous et des enfants") qu’ils voyaient comme autant de contrepoints à la culture occidentale : à la fois contre l’ethnocentrisme européen et le rationalisme réducteur (la psychanalyse n’était pas loin).

Ils constateraient finalement que, subversifs ou non et à quelques exceptions près, les arts rebelles seraient neutralisés dans les musées, mais que l’imaginaire surréaliste est partout, sur tous les supports de notre environnement : photo et ciné, mais aussi bande-dessinée, cinéma d’animation et publicité.

Surtout : croiraient-ils encore aujourd’hui que par leurs pratiques artistiques décalées, ils pourraient "changer le monde" ?


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