En Occident, la Culture impressionne ; on suppose que la personne « cultivée » maîtrise le vaste champ des savoirs : sciences et philosophie, arts et littérature. Les Maîtres sont classés parmi les intellectuels (grands chamanes du monde des idées) ou les experts (qui excellent dans un domaine plus restreint). En Occident toujours, on a eu les figures historiques de la philosophie (Aristote ! Leibniz !) et celles de l’essai ( spontanément je pense à Rousseau, Edgar Morin ou Michel Serre). Devant de telles figures, on se sent au moins autant « écrasé » que devant les peintres de la Renaissance, les compositeurs romantiques ou les génies scientifiques du 20è siècle. Pourtant, l’école occidentale nous enseigne aussi qu’en marchant sur les pas des Maîtres, on peut tranquillement dessiner son propre chemin : construire et penser par soi-même. De mes modestes promenades culturelles, voici une partie de ce que j’en ai sorti : micro-essais sur l’aliénation ou la xénophobie, projets plus substantiels sur l’histoire des religions et la philosophie zoologique.
SURREALISME PRESENT !
Il y a à peu près un siècle naissait le mouvement surréaliste, le plus grand mouvement de rénovation artistique depuis la Renaissance. Ce mouvement, il convient de le concevoir sous sa forme la plus générale, et non dans les limites étriquées que lui a finalement conférées l’histoire de l’art.
Pour les seuls arts plastiques : Dali fut surréaliste par son imaginaire, son humour ou son ego mais aussi Duchamp pour sa provocation, Magritte et Michaux...
MANIFESTE
Quand nous insistons sur l’esprit surréaliste, nous insistons sur l’ouverture d’esprit et non sur l’insipide répétition d’un style " acquis " et négociable : qu’on songe au fait que le marché et la critique sont parvenus à statufier les infortunés Duchamp, Bacon et quelques autres.
L’heure académique est donc à la " subversion répétée ", jusqu’à plus soif : néo-provoc ou néo-figuratif, ou néo-abstrait pour faire plaisir au " public averti ", etc...
Alors oui, quant à nous, nous préférons choisir le surréalisme dans sa forme primitive, comme ouverture s’entend : rappelons-nous que Max Ernst ne fut jamais enfermé dans une "catégorie", pouvant simultanément produire du " nègre ", de l’ " onirique " ou du " collage hasardeux ", pratiquer avec du matériau noble ou du papier découpé, de l’huile sur toile ou du crayon de couleur. Que Paul Klee, menant outre-Rhin les mêmes batailles sous d’autres désignations, n’était pas un obsessionnel d’un " style Paul Klee " (facilement identifiable par le collectionneur ou l’historien d’art), savourant la nouvelle " pulsion construite " du jour : figurative ou abstraite, soignée, purement technique ou à peine esquissée.
Certains artistes et poètes revendiquent encore et toujours cette posture libératrice : toutes les sources d’inspiration, toutes les techniques possibles, les expressions de l’inquiétude ou du contrôle, du primitif, du moderne ou du " post-moderne ", et tout ce que l’on voudra ; pourvu que ce soit avec la conviction intime de l’artiste, qui ne cherche pas par avance à répondre à une demande… : fervente perpétuation des années héroïques du début du XXè siècle qui, aujourd’hui comme hier, se présente comme une forme d’insurrection générale contre les misérables " académismes pompiers ou avant-gardistes ".
Après quoi, il s’agira surtout d’un retour au travail subjectif, offert au goût de subjectivités multiples : on aimera ou on n’aimera pas, liberté de l’amateur d’art à son tour ; mais on reconnaitra tout du moins une grande ténacité dans la diversité des formes et sources d’inspiration : en refusant coûte que coûte, dans les œuvres comme dans l’esprit, de répéter une trouvaille stylistique, une idée, un thème, un concept jusqu’à la caricature…
N’oublions pas que les règles de l’art n’appartiennent pas aux innombrables pontifes qui vivent du travail des artistes : si ces derniers décident d’imposer leur propre loi, ne doutons pas que les investisseurs privés, les décideurs institutionnels, les historiens, les critiques et autres parasites finiront bien par suivre le mouvement.
DEFINITION TRANSITOIRE POUR UN DICTIONNAIRE FUTUR
Le soupçon qui pèse sur l’idée que dans le domaine de l’art toute innovation, toute étrangeté, toute pseudo loufoquerie, même la plus terne serait en soi nécessaire et suffisante : cette tendance, que d’aucuns nomment “nouvelle académie” a dogmatisé autant qu’on pouvait l’y contraindre la fameuse petite phrase du grand docteur es critique d’art Charles Baudelaire, comme quoi
"Le beau est toujours bizarre",
balayant d’un revers d’esprit définitif la totalité de ses éphémères et souvent pertinentes réflexions
celle par exemple qui rappelle que l’art, “ c’est 1% d’inspiration, et 99% de sueur" ;
face à cette simili-modernité ou post-modernité, le surréalisme de notre temps n’hésitera pas, par conséquent, à puiser ses contenus et ses formes dans l’immense réservoir que constituent les quelque 40 000 ans d’histoire de l’art.
SURREALISME
Quel peut être l’intérêt, pour des artistes du XXIe siècle de faire référence à un mouvement semblant être sorti des écrans avec la mort d’André Breton ?
Toute définition devra prendre en compte le fait que ce “mouvement” fut justement multi-formules :
celle de l’univers onirique, que les découvertes freudiennes rendaient alors innovantes et qui apparaît aujourd’hui la plus désuète, hormis du côté des bidouilleurs d’images numériques, authentiques créatifs de pubs ou clips vidéo en tête ;
celle qui a brisé les tabous, tant du point de vue des formes esthétiques que des contenus, et cette posture-là ne saurait apparaître aujourd’hui "dépassée", particulièrement si l’on observe ce que sont les " nouveaux académiciens " ;
celle enfin, plus urgente que jamais, qui considère que l’art peut toujours contribuer à transformer le monde, ses structures sociales et ses mentalités, même si les combats à mener, les idéologies à affronter, ne sont plus précisément les mêmes qu’il y a un siècle.
CHÂTEAU
A l’époque même du mouvement surréaliste, André Breton s’était arrogé l’autorité de distribuer les tickets d’entrée d’un club fort privé, alors même qu’il était mieux inspiré d’ouvrir grand les fenêtres dans son Anthologie de l’Humour Noir.
Malgré le sectarisme, l’élitisme et autres puériles batailles, le siècle entier est venu puiser au château des ressources, autant au niveau de l’esprit que de la lettre : au cinéma, les Tex Avery, Fellini, Gillian, Burton, Lynch ou Tarantino ; et des inspirations diverses, celles des écrivains de la Beat Generation ou des musiciens psychédéliques.
Il y a ceux enfin, qui vivent aujourd’hui plus que jamais "en surréalistes" : des résistants écologistes aux derniers peuples indigènes, en passant par ceux que le destin a placé dans une situation insolite : astronautes de la station orbitale, géoclimaticiens en mission en Antarctique ou gardiens de centrales nucléaires … toutes professions très éloignées des anciennes observations sociales des pionniers surréalistes…
HIER / AUJOURD’HUI
L’AMOUR libre est sans doute plus "libre" qu’il y a un siècle, mais on est souvent passé du corps occulté au corps exhibé, et moins dans l’art finalement que dans la pub ; du coup, un paradoxe ? l’amour romantique résiste au temps, même s’il ne s"affirme plus dans l’exaltation lyrique (hormis dans la chanson populaire ou au cinéma), comme affrontement de la passion face aux codes sociaux.
L’amour homosexuel, du moins en Occident, se dit un peu plus, mais se devine plus qu’il ne se montre ; en cela, sa sortie de la clandestinité reste timide et fragile ; à l’instar de l’amour romantique, l’amour homosexuel se fait discret, pudique : il ne se présente pas aujourd’hui comme bousculant les normes morales de son temps ; la revendication au "mariage pour tous" est même l’expression d’un fort besoin de normativité. Qu’en auraient dit les surréalistes ? très difficile à imaginer, eux qui ne s’intéressait à Sade que parce qu’il brisait les codes de la morale religieuse et bourgeoise.
La femme muse, héritage romantique très présent chez Dali, Eluard ou Aragon, est à peu près totalement sorti des écrans aujourd’hui ; le développement du féminisme n’est pas pour rien dans cette évolution, même si pourtant la reconnaissance des femmes-artistes tarde à trouver sa place dans cette nouvelle configuration des rapports hommes/femmes ; signalons que la survalorisation du "top model" occupe une grande place dans la présentation de la mode vestimentaire, mais dans un créneau hyper codé, voire dérisoire, en général assez éloigné d’une réelle inspiration poétique.
LA POESIE : à voir le nombre de publications et d’évènements, on a le sentiment que la poésie comme forme littéraire est toujours vivante ; pourtant, il est loin le temps où les poètes de cour avaient des privilèges que n’avaient pas les plasticiens de la Renaissance, ou ceux de la période romantique qui se continue ici chez les surréalistes. En tant que phénomène d’édition, c’est le roman qui a pris toute la place, principalement sous la forme "naturaliste", celle-là même que méprisaient les surréalistes, parce qu’elle occultait le manque d’imagination sous des tonnes de documentation historique ou sociale ; aujourd’hui, force est bien de constater que ce sont Zola et les frères Goncourt qui ont emporté la bataille face à Baudelaire et Eluard. Mais, revanche posthume ? l’esprit poétique (métaphore et métonymie, rythme et harmonie, psychologie décalée...) s’est tout de même insinué dans le roman lui-même : chez Giono par exemple, ou Gracq, Le Clézio...
L’imaginaire poétique a trouvé également également à se réinventer dans des genres autrefois jugés marginaux : le conte fantastique, la science fiction ou la saga d’heroic fantasy, dont les adaptations graphiques et cinématographiques élargissent considérablement l’audience.
Fils spirituels des dadaïstes, les surréalistes n’hésitaient pas à revenir sur la nécessaire sortie du littéraire et des arts plastiques ; "vivre en poètes", tel pourrait être le mot d’ordre auquel souscrivaient déjà les Vian, Prévert, Queneau, Artaud, Michaux, enjambant allègrement les frontières des formes imposées, puis les Topor ou Desproges...
LA LIBERTE de l’artiste, du choix des formes et des contenus, à laquelle croyaient les surréalistes plus que tout, participait de la liberté générale, comme une évidence ; depuis, il y a bien eu chez nous un moment retenu sous la désignation de "Mai 68" ("l’imagination au pouvoir !"), mais aujourd’hui encore de nombreux artistes en lutte contre la tyrannie pourraient assez facilement reprendre à leur compte le fameux manifeste Breton/Trotzky ("Pour un art révolutionnaire indépendant", 1938).
Dans les années 30, on a vu comment le fascisme italien ou le stalinisme pouvaient récupérer et neutraliser des mouvements d’avant-garde en en faisant des outils de propagande ; certains artistes de cette époque soupçonnaient déjà la dérive, d’autres non ; depuis, la prudence est de mise.
Dans les régimes démocratiques, d’autres dangers ont pointé, que n’avaient pas prévus les surréalistes : la récupération commerciale des avant-gardes (dénoncée plus tard par les situationnistes). Dans ce contexte, le modèle marchand accélère un phénomène relativement nouveau : une production de plus en plus éphémère, donc souvent inaboutie, voire dérisoire, production qu’aimeraient pourtant pouvoir stabiliser les spéculateurs et les musées. Ici, avant même sa réalisation, le concept devrait pouvoir suffire ; la production artistique (nous parlons des arts plastiques) se contentera souvent de performances et autres installations "provocatrices" : le dadaïsme lui-même est finalement entré dans ce nouveau champ du conformisme.
LA POLITIQUE : si certains surréalistes se sont ralliés au modèle communiste, l’humeur collective était plutôt libertaire ; tous, aux côtés des intellectuels et autres ethnologues, ils dénonçaient avec virulence le colonialisme et le racisme qui l’accompagnait, ce qui n’était pas si commun pour l’époque. Aujourd’hui, la condescendance raciale existe toujours (vis à vis de l’Afrique Noire notamment), mais c’est surtout la xénophobie liée aux migrations multiformes qui attirerait sans doute l’attention du mouvement ; dans cette perspective, l’énergie du groupe irait à la défense du multiculturalisme et du métissage culturel ; au plan politique, irait-il jusqu’à l’ "altermondialiste" ? longues discussions en perspective.
Plus qu’antireligieux, les surréalistes étaient surtout anticléricaux ; aujourd’hui, leur combat serait sans doute le même, proche ainsi de certains journaux satiriques ; au delà des problèmes liés au fanatisme et au terrorisme, ils lutteraient vraisemblablement encore contre les bondieuseries superstitieuses (notamment celles des pentecôtistes et autres mouvements sectaires), ne cessant de s’étonner de cette perpétuelle renaissance ?
Ils lutteraient également contre la pénalisation à outrance et le système des prisons (surchargées et souvent déshumanisées), la psychiatrie qui reste médicalisée (malgré le mouvement antipsychiatrique des années 60), le néo-libéralisme tout puissant, la finance cynique et mondialisée ; parallèlement, ils dénonceraient le "productivisme rationalisé" et le fantasme de la "croissance" ; ceci bien-sûr n’est qu’une pure projection, à partir de ce que nous savons de leurs positions en matière d’économie.
QUEL RETOUR ? S’ils revenaient aujourd’hui, les surréalistes ne seraient sans doute pas étonnés de retrouver la guerre (ils ont connu les 2 guerres mondiales) ; mais la pollution les laisserait songeurs, de même que la surproduction alimentaire, les innombrables écrans et la numérisation générale.
Du point de vue des arts, ils ne pouvaient sans doute pas imaginer les immenses musées d’art contemporain (où ils ont une place de choix), la production de masse du cinéma (dont ils entrevoyaient les possibilités) et de la musique (qui les intéressait modérément).
Ils apprécieraient la reconnaissance des arts premiers (qu’ils ont cherché avec d’autres à valoriser), des arts insolites ("ceux des fous et des enfants") qu’ils voyaient comme autant de contrepoints à la culture occidentale : à la fois contre l’ethnocentrisme européen et le rationalisme réducteur (la psychanalyse n’était pas loin).
Ils constateraient finalement que, subversifs ou non et à quelques exceptions près, les arts rebelles seraient neutralisés dans les musées, mais que l’imaginaire surréaliste est partout, sur tous les supports de notre environnement : photo et ciné, mais aussi bande-dessinée, cinéma d’animation et publicité.
Surtout : croiraient-ils encore aujourd’hui que par leurs pratiques artistiques décalées, ils pourraient "changer le monde" ?
Singe carnivore
Comme le chien, le cochon et le rat, homo erectus est opportuniste, grand facteur d’adaptation à l’environnement ; omnivore, il mange de tout ; d’abord cueilleur et charognard, il devient maïtre du feu, et la viande devient une gourmandise, qui engage une véritable organisation sociale basée sur la chasse. L’animal, avec qui on partage un fragile destin, devient pourvoyeur de viande, de protéine ; il devient objet de gourmandise, un produit désirable.
Zoophobies
Mais même comme ressource alimentaire, l’animal n’est pas du « végétal » ; il a la possibilité de se cacher, de s’enfuir, de devenir dangereux ; se cacher développe l’instinct du collecteur, s’enfuir celui du chasseur, devenir dangereux celui du combattant. Les humains de cette longue période ont certainement une manière pragmatique et rationnelle de classer ces espèces dangereuses...La crainte, devenue parfois pure « zoophobie » (insectes, serpents, rats...), fut tellement forte qu’elle subsiste encore aujourd’hui ; cette forme particulière de phobie n’a malheureusement pas bénéficié d’une attention particulière en psychologie et en psychologie sociale.
Sanctuaires
Parallèlement, certaines espèces restent l’objet d’une grande admiration (pour leur vélocité, leur puissance, la beauté des formes, des couleurs et du mouvement). Nous sommes au paléolithique supérieur (grotte Chauvet, 40 000 ans) : une des premières expressions artistiques des hommes sublime véritablement certaines espèces animales ; bisons, chevaux, lions, mammouths... ces espèces (et parfois quelques autres : hiboux, phoques...) nous amènent à accepter l’idée que ces grottes ornées étaient de véritables « sanctuaires » : éphémères (chamanisme ?) ou durables (initiation ?).
L’animal est alors à la fois proche de l’humain et très éloigné ; il est craint et admiré ; comme nourriture réelle et imaginaire, il est mangé et désiré ; on peut imaginer ici une infinie palette de relations aux bêtes, plus ou moins riches et complexes : selon les espèces, l’environnement, l’expérience et la mémoire.
Écologie primitive
Depuis un siècle, les ethnologues nous ont appris à connaître le mode de vie de certaines populations restées volontairement ou non en marge de la « civilisation » dominante ; nomades ou sédentaires, pasteurs ou chasseurs-cueilleurs, elles entretiennent avec l’animal une sorte d’ « amitié » (au sens de respect, d’échange, de proximité physique ou mentale) avec certaines espèces ; cette relation intime ou simplement symbolique s’inserre dans une philosophie que nous nommerons « écologie primitive » ; on pense au système naturaliste suivi par les Bouriates de Sibérie, dans lequel le chamane a pour fonction d’aider au maintien d’un équilibre de corps et d’âme entre la forêt et sa propre tribu ; si l’équilibre a été rompu par un chasseur indélicat par exemple (qui aurait négligé l’échange symbolique nécessaire : don d’objet ou exécution d’un rite), le rôle du chamane consiste à rétablir le lien avec les grands Esprits qui veillent à l’équilibre de la biodiversité.
Ancêtres
Dans un certain nombre de régions du monde (Sibérie, Amazonie, Amérique du Nord, Afrique Noire, Australie, zone arctique), ce sont souvent des espèces animales qui s’imposent comme figures totémiques (donc symboliques) : ancêtres Ours, Lions, Serpents, Baleines..., et parfois des espèces moins « impressionnantes » (oiseaux, insectes, castors...), il convient de garder d’excellente relations avec ceux qui peuvent protéger ou punir : par le climat, la maladie des hommes et du bétail, des naissances insuffisantes.
Les signes totémiques sont devenues en Europe les éléments figuratifs et symboliques des armoiries médiévales, des emblèmes politiques et sportifs, les marques et les logos ; les figures zoomorphiques y ont gardé toute leur place (Lacoste, Jaguar...).
Métamorphoses
Insectes, batraciens, reptiles,...dans leur développement ontogénétiques, de nombreux animaux sont amenés à se transformer, partiellement (plumage, peau) ou totalement (papillons, grenouilles) ; cette étrangeté zoologique va engager l’imaginaire humain dans des voies tout aussi étranges : inquiétes (les métamorphoses du Diable) ou non : Zeus (pour séduire les femmes), contes moralistes : latins, arabes, contes de fées.
D’autres espèces sont capables de se transformer dans un contexte presque immédiat (caméléons) ou parfois dans leur développement phylogénétique : mimétisme pour se fondre dans un décor (insectes, poissons) ou pour ressembler à une espèce dangereuse par exemple (papillons).
Force est de constater que ces populations qui cherchent à maintenir un rapport équilibré avec l’animal et la nature ne comptent pas beaucoup à l’échelle planétaire ; Aborigènes d’Australie ou Amérindiens d’Amérique du Nord, ils sont très peu aujourd’hui ; tous, ils sont dispersés ou marginalisés, leurs enfants sont la plupart du temps attirés par les grandes villes. Nous savons pourtant qu’ils ont tant à nous enseigner...
Catastrophe néolithique
Hommes ou animaux domestiques, ils sont attachés à la maison ; pour les animaux, nous savons que la grande catastrophe se passe au néolithique (cette catastrophe que les humains nomment en général révolution). C’est d’abord le chien, il y a 15 000 ans, qui accepte le rapprochement (l’apprivoisement) contre le partage de nourriture ; puis c’est au tour du bétail (bovins, caprins, ovins) et de la volaille (poules, pigeons), puis de nombreuses autres espèces, dont l’éléphant d’Asie (celui d’Afrique reste plus rétif) qu’on va mettre au travail ou mener à la guerre, comme le cheval qui y laissera des millions d’individus. Certaines espèces vivront sous la contrainte (le ver à soie), quand d’autres resteront aux limites du contrôle, comme l’abeille ou le chat. Mais on aura expérimenté méthodiquement toutes les exploitations possibles de l’animal : pour sa viande, ses matières diverses (poils, peau, os, ivoire...), sa force de travail ou même les spectacles de cirque (grands félins que l’on « dompte »). Depuis le 19e s., la méthode moderne de domestication se nomme zootechnie, qui a largement recours aujourd’hui au génie génétique.
Consommer
L’animal chassé était pourvoyeur de viande mais de manière occasionnelle. Lorsqu’il devient bétail ou volaille, il devient progressivement un objet uniquement produit pour sa viande ou son lait. La viande est alors ce point considérée comme une gourmandise que les chrétiens vont en limiter la consommation comme s’il s’agissait d’un exercice spirituel (ce qu’on nomme « manger maigre », sorte de pénitence qui n’inclut pas le poisson, sauf le thon qui saigne).
En Inde, jusqu’à aujourd’hui, la viande reste un luxe et l’hindouisme en prescrit une faible consommation, surtout pour la caste des brahmanes jugée supérieure (contrairement à la caste des guerriers kshatriyas, qui peuvent en consommer) ; à l’autre bout de l’échelle sociale, les métiers liés à la chair morte en général sont confiés aux parias, physiquement impurs et intouchables. Plus végétariens encore que les bouddhistes du 6e s. av. J.-C., leurs contemporains jaïns évitent de donner la mort à toute créature vivante, y compris dans le cas des insectes et invertébrés.
La Chine au contraire se donne la possibilité de cuisiner tout ce qui consommable, que ce soit pour le plaisir ou pour appliquer des principes diététiques. Sauf pour les bouddhistes chinois, l’animal est dans ce cas considéré comme une pure et simple chose, dont la chair, le sang, les composés organiques ou les abats entrent dans la pharmacopée traditionnelle.
Sacrifier
Dans la société ancienne, la mise à mort d’un animal n’est pas un acte innocent ; déjà, dans certaines cultures (mais pas toutes), le chasseur pouvait demander pardon à la bête qu’il avait tuée, en fredonnant une litanie par exemple ; parfois il pouvait s’adresser à l’Esprit supérieur, par une offrande ou un don quelconque. Arrivé à bon port après le déluge, c’est encore ce que fait Noé pour remercier Dieu ; mais là, comme de nombreux peuples pasteurs, il sacrifie des animaux ; avec parcimonie certes, mais il sacrifie quand même. La Grèce antique est sur ce point un véritable paradoxe : alors qu’on l’imagine scientifique et philosophe (donc rationnelle), la peur superstitieuse des dieux la conduit à pratiquer dans les temples une véritable « cuisine du sacrifice ». Deux sectes marginales seront ainsi considérées comme dangereuses pour l’équilibre politico-religieux : les pythagoriciens d’un côté, authentiques végétariens, et à l’autre extrême les dionysiens, mangeurs rituels de chair crue.
Dans l’antiquité sacrificielle, l’Égypte ancienne fait figure d’originalité : les sacrifices des animaux y sont très rares, ceux-ci ayant le privilège d’être plutôt du côté du divin.
A partir du néolithique, on voit que l’animal sert à beaucoup de choses, comme matière première ou force de travail ; par le sacrifice, il sert aussi de nourriture aux dieux. Les Anciens mexicains, pour leur part, préfèrent offrir le sang humain. Au 6e s. av. J.-C., on voit apparaître un certain nombre de réformateurs religieux, dont Bouddha ou Zoroastre. : pour eux, Dieu n’a que faire de ces sacrifices.
Zoomorphes
Peut-être que les animaux peints ou gravées sur les murs des grottes étaient déjà des figures du sacré ? nous n’en saurons rien, si ce n’est qu’ils sont là avec une certaine constance pendant des milliers d’années, et qu’ils apparaissent sans doute comme des intercesseurs avec le monde du divin. En Égypte ancienne, si les animaux ne sont pas sacrifiés, ils sont par contre constamment convoqués, dès lors qu’il s’agit d’imaginer une représentation symbolique des dieux ; pendant trois mille ans, le masque zoomorphe va accompagner le discours religieux tout au long de la vallée du Nil jusqu’aux frontières du Soudan. Parfois, comme en Grèce, les dieux peuvent être anthropomorphes, parfois ils peuvent être de simples animaux, mais la plupart du temps il s’agit d’une composition symbolique où la tête de l’animal a une place majeure, dès lors qu’il s’agit d’aider les hommes à penser ce qui leur est transcendant.
Les attributs des dieux en Inde ne passent pas par le masque zoomorphe mais par une « monture » animale, ce qui sans doute n’est pas très différent.
Vivantes
En Égypte comme en Inde, si l’on ne constate en général nulle zoolâtrie (contrairement à ce qu’avait imaginé Hérodote), l’animal peut être considéré comme l’avatar incarné du dieu qu’il symbolise ; à l’époque tardive en effet, des lions étaient protégés à Leontopolis, des Crocodiles à Crocodilopolis,etc. Ce qui n’était pas parfois sans poser des problèmes entre communautés : sur l’île Eléphantine, on s’en prit aux Hébreux mangeurs de mouton (avatar de Khnoum) ; et en guise de représailles contre ceux de Cynopolis qui mangeaient du poisson, ceux de Oxyrhynchopolis se mirent à rôtir du chien. Certaines espèces, parfois pour des raisons pragmatiques, ce sont certaines espèces qui sont privilégiées : le chat en Égypte (déesse Bastet) qui protégeait les récoltes contre les rongeurs et les serpents ; ou la vache en Inde (adorée par Krishna lui-même) parce qu’elle donne son lait.
A leur mort, en Inde, certains animaux seront incinérés, alors qu’en Égypte ils pourront être momifiés.
Signes
La figure animale est à ce point inscrite dans la représentation mentale du divin qu’à partir de l’Antiquité , elle trouve naturellement sa place dans la description des constellations (Grèce, Chine, Précolombiens...) et dans les premières écritures (hiéroglyphes égyptiens, idéogrammes chinois).
Dans l’etrusca disciplina des Romains, c’est le vol des oiseaux qui porte le message des dieux (auspicium) ou les viscères de l’animal sacrifié (extispicine).
Dès l’Antiquité, qu’il soit repardé comme une image du divin ou soumis au sacrifice, l’animal est le figurant inconscient d’un monde religieux qui lui échappe ; sauf pour les espèces sauvages dont le territoire commence à se réduire rapidement, l’animal n’est en général plus maître de son destin.
Initiation
Héraclès, Thésée, Ulysse, Œdipe... : dans son parcours initiatique, le héros grec se devait d’affronter des monstres aux pouvoirs surprenants ; la plupart du temps, ces monstres étaient plus ou moins zoomorphes : ils symbolisaient en tout cas l’animalité, comme limite de l’humanité et de sa civilisation.
Le Moyen Age chrétien revisitant le paganisme européen, le « culte des saints » retrouve cet accomplissement héroïque au travers de la lutte contre les monstres et l’animalité : Blaise et Vaast face aux loups, Simon et Jude face aux tigres, Matthieu et Georges face aux dragons...
Le psychanalyste Bruno Bettelheim pense que les « contes de fées » et de monstres peuvent aussi servir le parcours initiatique (inconscient) de l’enfant, en l’invitant à triompher des obstacles.
Anthropomorphismes
Faisant des animaux des figurants théologiques, les Bestiaires du Moyen Age s’appuient sur une distribution assez simple : d’un côté l’armée du Christ (huppe, belette, autruche...), de l’autre celle du Diable (âne, singe, baleine...). A part l’émerveillement devant ce parc zoologique exotique, la démonstration emportait-elle vraiment la conviction populaire ? c’est assez difficile à juger aujourd’hui. Les fables animalières, partout très populaires et résolument légères, sont sur ce plan peut-être plus efficaces à enseigner la morale, autant profane que religieuse. Les animaux y devisent et agissent comme des hommes et, en Chine, en Inde ou en Grèce, personne ne s’en étonne.
A la fin du 18e s. par contre, il est plus étonnant de constater le succès réel de la « physiognomonie » : le théologien suisse Lavater y fait en effet une étude des caractères humains d’après les aspects zoomorphiques du visage (types bovin, renard, lion...). Depuis les caricaturistes comme Grandville au 19e s., la bande dessinée et le dessin animé en font leurs choux gras.
L’âme
Les animaux ont-ils une âme ? Les peuples qui vivent au contact de la nature ne se posent pas cette question ; pas plus que le monde rural au Moyen Age, avec une incidence étonnante, d’ailleurs : si les animaux ont une âme, ils peuvent être jugés responsables de leurs actes ; c’est ainsi que -jusqu’au 17e s.- la justice civile et religieuse aménage des procès très étonnants faits à une truie normande qui a bousculé mortellement un enfant ou des dauphins qui empêchent les marins de sortir du port de Marseille ; et tout ressemble en effet à un vrai procès, avec partie civile et avocat, jugement et parfois punition.
Au 17e s. Ren é Descartes, apôtre du rationalisme change l’approche générale ; les animaux, dit-il, ne sont que des « machines », sans raison, sans âme. S’ensuit un siècle de polémique dans le petit monde de la théologie et de la philosophie.
Qu’ils aient une âme ou pas, la nature métaphysique et psychologique des animaux n’intéresse pas vraiment le monde moderne : si l’animal est une simple machine, il ne connait ni le stress ni la souffrance et les anatomistes vont pouvoir s’en donner à cœur joie (vivisection) ; s’il est une « merveilleuse machine », il pourra servir de précieux modèle à Léonard de Vinci et aux inventeurs de la bionique.
Collection
Depuis l’Antiquité, les animaux « exotiques » ont toujours fait partie des vitrines du pouvoir et du prestige : pour un pays européen, posséder une girafe ou un rhinocéros n’a pas de prix. Suite aux grandes découvertes de nouveaux continents, les voyageurs officiels ou commerciaux ramassent tout ce qu’ils peuvent, et qui viendra remplir cabinets de curiosité et bientôt muséums d’histoire naturelle. Hécatombes sur place et au cours des voyages, mais au final, les collections se remplissent, et les scientifiques vont pouvoir reprendre et poursuivre les travaux d’Aristote (Histoire des animaux), en attente depuis le 4e s. av. J.-C. : classification, comparaison anatomique, reproduction, développement embryonnaire..., Buffon, Linné, Geoffroy Saint-Hilaire ou Cuvier ne manquent alors ni de travail ni d’enthousiasme, suivis en cela par des éditeurs qui n’hésitent pas enrichir leurs collections de somptueuses illustrations.
Transformisme
Mais certains scientifiques ne sauraient se contenter de classer ces collections sans avoir à réfléchir sur la dimension philosophique et théorique des nouvelles découvertes. Un des premiers à évoquer la transformation des espèces au fil du temps (le temps long que suggèrent les premiers ossements préhistoriques), c’est Jean-Baptiste Lamarck. Il affirme en effet que les girafes allongent leur cou pour s’adapter au feuillage des arbres, de plus en plus haut à cause de la désertification de la savane africaine. En soi, reconnaître la transformation des êtres vivants depuis leur création divine pouvait poser problème, mais c’est avec Charles Darwin qu’un double scandale arrive : 1/ les transformations sont dues au hasard (problèmes avec la religion), 2/ l’homme est le résultat d’une de ces transformations au sein des grands singes (problèmes avec l’anthropocentrisme).
Zoos
Avec la grande collecte d’animaux naturalisés, c’est le marché international des animaux vivants qui s’organise. C’est l’allemand Hagenbeck qui en sera le maître d’oeuvre, fournissant en effet les grands zoos du monde. Le succès de ces parcs auprès des populations (qui rêvent de pays lointains) est immense. Si dans les zones de chasse l’hécatombe continue, on cherche à mettre en valeur les animaux non seulement par des habitats exotiques mais aussi en offrant au maximum l’illusion d’une semi-liberté (plus de fossés et de vitrines, et moins de cages). Pour ajouter à l’illusion, on fera aussi venir des tribues « sauvages » pour faire couleur locale.
Aujourd’hui, les gens voyages ou regardent les documentaires ; les zoos exotiques ne font plus autant recette. Les parcs affichent une double reconversion : pour ce qui est de « l’édification du public » chère à la Révolution Française, qui décrètera la création du Muséum National d’Histoire Naturelle, on ajoutera la dimension écologie et protection de la nature ; et pour certaines espèces clairement menacées de disparition, les zoos publics et privées deviennent de véritables refuges et des lieux de reproduction.
Biodiversité
Dans le sillage du darwinisme et de l’histoire naturelle, une nouvelle science se développe : l’écologie. L’écologie est l’étude des écosystèmes, faisant intervenir l’environnement (si cher à Lamarck) et l’équilibre des espèces basé sur la composition ou la coopération (imaginées par Darwin). Chaque écosystème trouve une partie de sa compréhension dans un module qui lui est supérieur et ainsi de suite. Avec le dévoppement de l’espèce humaine et particulièrement depuis 1/ les échanges internationaux (16e s.), 2/ la révolution industrielle et l’exploitation intensive des ressources, on constate un appauvrissement des espèces végétales et animales (dans des écosystèmes qui ont besoin de beaucoup de temps pour trouver ou réinventer des équilibres fragiles). Les naturalistes sont quant à eux pris dans une course de vitesse : ils imaginent que des milliers d’éspèces d’espèces auront disparu avant même d’avoir été inventoriées et étudiées (pariculièrement les espèces maines, les insectes et invertébrés). L’appauvrissement de cette biodiversité engage l’avenir de l’homme lui-même, situation qu’il n’a jamais été amené à rencontrer.
Ethologie
Egalement dans le sillage du darwinisme et de l’histoire naturelle, l’éthologie (ou science du comportement animal) nous apprend à observer l’animal (en milieu naturel quand c’est possible) avec rigueur et finesse, en suivant tout un protocole destiné à perturber son mode de vie le moins possible. Ainsi, on peut étudier selon les cas ses modes de reproduction (simples ou complexes, avec des rituels ou non), sa perception des êtres et de l’environnement et ses modes de communication (olfactifs, chimiques, auditifs, tactiles ou visuels). Un concept apparaît ici très utile, celui de « territoire », qui détermine pour chaque espèce un espace de vie et de survie impératif physiquement et mentalement : c’est dans cet espace précis que se déterminent la protection de l’individu et du groupe, son alimentation et sa reproduction.
Humanisme
Dès le 18e s. la philosophie sensualiste conteste la définition mécanique des bêtes : « Ce ne sont pas de purs automates, elles sentent » (Etienne de Condillac) ; et la philosophie utilitariste anglosaxonne emboite le pas : « la question n’était pas les animaux peuvent-ils raisonner ? Peuvent-ils parler ? Mais peuvent-ils souffrir ? » (Jeremy Bentham). Le siècle suivant voit la naissance de la première Société Protectrice des Animaux. Depuis, le mouvement de défense des animaux s’est amplifié, avec diverses ramifications ; au 18e s., on évoquait la libération des esclaves ; au 20e. On s’appuie sur les luttes contre le racisme et le sexisme pour combattre le « spécisme » (Peter Singer). Au-delà de l’antispécisme, les défenseurs de la cause animale essaient d’imaginer un « humanisme général et écologique », dans lequel la grande diversité zoologique aurait sa place.
Aujourd’hui l’écologie nous aide à sortir du modèle anthropocentriste (ou tout semble fait finalement pour servir l’homme) et l’éthologie nous invite à observer l’animal comme il est plutôt que comme nous sommes (anthropomorphisme). Reste à savoir s’il peut acquérir autre chose que le simple statut d’objet ; les mentalités semblent évoluer (contre la corrida par exemple), mais les grands intérêts économiques résistent résolument. Il faudra par exemple qu’un véritable soupçon s’installe par exemple contre l’industrie alimentaire (épidémies, génie génétique, usage excessif d’antibiotiques...) pour que l’élevage intensif se transforme.
Du 19è au 21è siècle, un véritable cataclysme a ébranlé les codes traditionnels des arts plastiques. Plusieurs éléments interviendront dans ce grand mouvement libérateur : du Romantisme au Surréalisme, c’est l’imagination qu’on cherche à libérer, en s’appuyant en particulier sur le rêve ou le discours de la folie ; puis, de l’impressionnisme à l’abstraction, ce sont les formes plastiques elles-mêmes qui seront revisitées ; enfin, du dadaïsme aux multiples pratiques contemporaines, on retrouve encore avec plus de force cette volonté persistante du monde de l’art à sortir de ses cadres : c’est le règne de l’art hors du jugement esthétique et hors les murs.
Contre l’idéal classique, qui consiste à « copier le réel » et parfois l’organiser (statuaire grecque, peinture Renaissance, arts classiques français du 17e s. ou réalisme du 19e), l’imagination provoque des « failles » dans la vision rationaliste du monde : vision de l’Enfer au moyen-âge (de l’art roman à Jérôme Bosch) ou pure fantaisie (de Brueghel à Archimboldo), théâtre élisabethain qui n’hésite pas à passer constamment les frontières de l’irrationnel. Dès la fin du 18e s., le romantisme (allemand et britannique, puis français) reprend le flambeau de l’imagination contre la raison ; un siècle plus tard, c’est autour du symbolisme et du pré-raphaélisme que les peintres français ou anglais prennent leurs distances avec le réalisme ; mais c’est avec le surréalisme au 20e s. (véritable mouvement artistique, philosophique et politique) que la rupture avec le réalisme et le rationalisme est clairement revendiquée ; face à la civilisation européenne qui a sombré dans la Première Guerre Mondiale, seule « l’imagination au pouvoir »semble encore pouvoir offrir un espoir, imagination sans limites de style et de contenu, en nous appuyant sur les « arts premiers » des colonies, l’art des « fous » et autres « naïfs », celui des enfants et, dès le début du siècle, la psychanalyse freudienne.
Johan H. Füssli, Le cauchemar, 1781
Francisco de Goya, Saturne, 1823
Caspar David Friedrich, Le Voyageur contemplant une mer de nuages, 1818 (romantisme) : « l’artiste doit peindre ce qu’il voit en lui ».
Eugène Delacroix, La Liberté guidant le peuple, 1830 : « le romantisme est la libre manifestation de ses sentiments ».
John Everett Millais, Ophélie, 1852 (préraphaélisme) ; l’art doit s’adresser à toutes les facultés de l’homme.
Gustave Moreau, Oedipe et le sphinx, 1864 (symbolisme) ; le symbolisme est la recherche de l’idéal (contre positivisme et naturalisme).
Giorgio de Chirico, Piazza d’Italia, 1913 (peinture métaphysique) :
capacité du rêve à générer des mondes à partir d’éléments connus (objets ou personnages insolites dans des décors aux perspectives aberrantes).
Salvador Dali, La Tentation de saint Antoine, 1946 (surréalisme) ;
« Déclaration d’indépendance de l’imagination » (méthode paranoïaque-critique : projection d’images obsessionnelles et délire interprétatif de l’artiste). André Breton : « Sur la foi des découvertes de Freud, un courant d’opinion se dessine enfin, à la faveur duquel l’explorateur humain pourra pousser plus loin ses investigations, autorisé qu’il sera de ne plus seulement tenir compte des réalités sommaires ; l’imagination est peut-être sur le point de reprendre ses droits », (1924).
+ David Lynch, Tim Burton...
Mais dans le rêve par exemple, il y encore du « figuratif » ; parallèlement à la libération des contenus, on va assister à une libération des formes ; de façon presque anodine (même si la présentation des œuvres impressionnistes crée le scandale dans le petit monde de l’art), c’est le travail sur la lumière (Turner, Monet), puis très vite sur la couleur (Gauguin) qui va permettre au peintre de sortir d’un réalisme jugé trop simpliste. Et c’est très méthodiquement qu’on repense alors la perception des choses (impressionnisme pictural, musical ou narratif), voire par l’expression brute des émotions (Van Gogh, expressionnisme « allemand », Artaud, Céline). Pour les peintres, le passage à la « révolution abstraite » se fait alors très vite ; libérée cette fois du contenu, l’abstraction se fait lyrique (Kandinsky), géométrique (Mondrian) ou minimaliste (Malévitch). Un siècle après sa naissance, l’art abstrait suscite souvent encore l’incompréhension : au 21e s., une partie du grand public semble toujours à la recherche d’un contenu clairement identifiable, ce qu’il trouve en littérature ou au cinéma, mais ne demande pas nécessairement à la musique.
William Turner, La musique à Petworth, 1835 ; reconnu comme « peintre de la lumière ».
Claude Monet, Impression soleil levant, 1873 (impressionnisme) ; parallèlement à l’nvention de la photo et aux travaux scientifiques sur la lumière, les séries : même motif à différentes heures du jour : meules, gare saint Lazare, peupliers, cathédrale de Rouen, parlement de Londres, nymphéas.
En 1894, Caillebotte lègue 70 œuvres impressionnistes à l’Etat (certaines d’entre elles seront refusées jusqu’en 1908).
Pierre Bonnard, La Fenêtre ouverte, 1919 (fauvisme) ; « La couleur, qui est vibration de même que la musique, est à même d’atteindre ce qu’il y a de plus général et partant de plus vague dans la nature : sa force intérieure », (Gauguin, 1899).
Vincent Van Gogh, Champ de blé avec les corbeaux, 1890 (expressionnisme).
Edvard Munch, Le cri, 1893 ; « J’ai entendu un cri infini déchirer la nature ».
Cobra (1948-51) : Asger Jorn, Karel Appel, Alechinsky, Jan Nieuwenhuijs...) ; influencés par le surréalisme, l’expressionnisme et Jung.
Pablo Picasso, La femme qui pleure (1937), Portrait de Dora Maar (1937), Minotauromachie (1935) ; 50 000 œuvres."Il n’y a pas d’art abstrait ; il faut toujours commencer par quelque chose ; on peut ensuite enlever toute apparence de réalité ; il n’y a plus de danger, car l’idée de l’objet a laissé une emprunte ineffaçable ", (Zervos, 1935).
Francis Bacon, d’après Velasquez, 1953 ; « L’odeur du sang ne me quitte pas des yeux » (1945). Séries : sur Van Gogh, corrida, boxe ; « L’image viendra droit de l’abstraction, mais elle n’aura rien à voir avec elle ; il s’agit d’une tentative pour que la figuration atteigne le système nerveux de manière plus violente et plus poignante », (1962).
Jackson Pollock, Action painting, 1948 (expressionnisme abstrait)
« L’artiste moderne travaille et exprime un monde intérieur ; il exprime l’énergie, le mouvement et d’autres forces intérieures », (1950).
Paul Cézanne, Montagne sainte-Victoire, 1887 et 1906 (cubisme)
« Traiter la nature par le cylindre, la sphère, le cône, le tout mis en perspective, soit que chaque côté d’un objet, d’un plan, se dirige vers un point central », (1904).
Sur le cubisme : « Ce que la rencontre entre Picasso et Braque fait surgir, c’est que le motif n’est plus la peinture ; c’est la composition », (Pierre Daix).
Robert Delaunay, Disque simultané, 1912 (abstraction géométrique) ;
harmonie picturale par l’agencement des couleurs ; modernité (cf. futurisme) : architecture, vitesse, électricité...
Piet Mondrian, Broadway, boogie woogie, 1942 ; « Je crois qu’il est possible, grâce à des lignes horizontales et verticales, (…) que ces formes fondamentales de la beauté puissent produire une œuvre d’art aussi puissante que vraie », (1914). Dans le but de chercher « l’essence de la réalité », supprime la courbe et le vert.
Wassily Kandinsky, Yellow, red, blue, 1925 (abstraction lyrique) ; découverte de l’électron : aller vers « une création pure de nature spirituelle ». Importance de la musique, abstraite par nature (cf. Schoenberg, musique atonale).
Joan Miro ; en 1926, avec Ernst pour les Ballets Russes.
Paul Klee (professeur au Bauhaus, avec Kandinsky) ; violoniste ; à Dresde en 1933, exposition d’ « art dégénéré » organisée par les nazis : 207 œuvres, dont 17 de Klee, qui serait « schizophréne » ; « Nous construisons et construisons sans cesse, mais l’intuition continue d’être une bonne chose » : théorie et spontanéité. 10 000 peintures, 5000 dessins, objets. « Le Bauhaus aspire à ce que la création artistique dans son ensemble constitue une unité, à ce que la fusion de toutes les disciplines artisanales aboutisse à un nouvel art architectural... », (Walter Gropius, 1923).
Kasimir Malévitch, Carré blanc sur fond blanc, 1918 (art minimal) ; le Bauhaus publie le « Suprématisme ou le monde sans objet » (1927) ; le pouvoir soviétique le qualifie de « rêveur philosophique » ; « Tout a disparu, est restée la masse du matériau à partir de laquelle va se construire la nouvelle forme », (1915).
Joseph Kosuth, Chaise ; art conceptuel ; « Matérialisée ou pas, l’idée elle-même vaut autant comme œuvre d’art que le produit fini », (So Le Witt, 1967).
L’art éternel et sublimé, l’art européen, au début du 20e s. il s’agissait bien de cela : enfermé dans les musées, réservé aux amateurs éclairés et aux riches collectionneurs, au-delà des multiples recherches purement esthétiques (fauvisme, expressionnisme, cubisme ou futurisme), il sera contesté par les dadaïstes comme art, purement et simplement : en effet, qu’est-ce qu’une œuvre d’art ? est-ce que l’art peut encore donner un sens à la civilisation européenne, qui l’a institutionnalisé et valorisé ? En tant qu’objets d’art, Duchamp trouve par exemple que les ready made (simples objets manufacturés) feront l’affaire et Tzara crée des poèmes à partir de découpes de journaux et de collages aléatoires. Gestes tout à fait marginaux au départ, ces pratiques vont se perpétuer par vagues tout au long du siècle, notamment après la Seconde Guerre Mondiale qui ravive le désarroi des créatifs : néo-dada, pop et néo-pop, installations et performances, toute tendance qui se présente initialement comme de l’anti-art a bientôt droit à l’appellation enviée d’avant-garde. Parallèlement, certains cherchent à pratiquer et innover hors des cadres des arts traditionnels (street art, land art, body art, art vidéo). Le paradoxe de ce foisonnement qui ne cesse de se présenter comme autodestructeur, c’est qu’en se perpétuant il finit par apparaître comme de l’art à part entière ; l’institution (le marché, la critique, le musée) en suit le moindre frémissement, jusqu’à en faire un nouvel académisme. La réalité c’est que l’anti-art et toutes les nouvelles avant-gardes les plus déroutantes, les plus farfelues ou les plus « scandaleuses » occupent aujourd’hui la presque totalité de la création dans le domaine des arts plastiques. Alors qu’en littérature, en musique, au théâtre ou au cinéma les expérimentations et déstructurations sont finalement restées dans les marges, la libération de la peinture ou de la sculpture a ici accouché d’un nouveau modèle.
Marcel Duchamp, Fontaine, 1917 (dadaïsme) ; invente le concept de « ready made » : l’art est une attitude, une démarche ; 1953 ; au Collège de Pataphysique (avec Vian, Prévert, Queneau...) ; « Cette maladie contagieuse qu’est la morale est arrivée à contaminer tous les milieux dits artistiques ; littérateurs et peintres deviennent des gens sérieux et bientôt nous aurons un ministre de la littérature et de la peinture ; je ne doute pas des plus effroyables conneries ! », (Francis Picabia, 1923).
« L’art brut, nous entendons par là des ouvrages exécutés par des personnes indemnes de culture artistique, dans lesquels le mimétisme, contrairement à ce qui se passe chez les intellectuels, ait peu ou pas de part, de sorte que les auteurs y tirent tout (sujets, choix des matériaux mis en œuvre, moyens de transposition, rythmes, façons d’écritures, etc) de leur propre fond et non pas des poncifs de l’art classique ou de l’art à la mode », (Jean Dubuffet, 1948), (art brut).
Andy Warhol, Marylin, 1967 (pop art) ; dessinateur de pub, designer de vêtements et chaussures ; « Gagner de l’argent est un art » ; exposition commune Pop Art et Nouveau Réalisme (New York, 1962). En 1964, s’installe à la Factory (avec Velvet Underground ) ; « L’art pop, une fécondation croisée du futurisme et de dada, qui défend la culture des masses, ainsi que l’idée selon laquelle l’artiste, dans la vie urbaine du 20e s., est inévitablement un consommateur de culture de masse, à laquelle il peut également apporter sa contribution », (Richard Hamilton).
+ Arman, César (nouveau réalisme).
Gutaï, 1956 (performances).
Joseph Beuys, La fin du 20e s., 1983 (installations) ; « L’art plastique concret s’accomplit par des moyens organiques élémentaires, comme des animaux en évolution, comme le sang coulant dans les veines ou le mouvement de l’eau dans la rivière... »,(1972).
+ street art, land art, body art...
Gainsbourg, conférences, etc